LE TRAIT- Episode 54 –
Nathalie Obadia : galeriste puissante

La réputation de Nathalie Obadia n’est plus à faire. Déterminée, énergique et passionnée, elle incarne pleinement ces qualités lorsque nous la rencontrons dans sa galerie du Faubourg Saint-Honoré, un matin d’avril.
Nous souhaitions l’interroger sur son parcours de galeriste, entamé il y a un peu plus de 30 ans, en 1993, lorsqu’elle ouvre sa première galerie rue de Normandie (Paris 3e), ainsi que sur son livre récemment paru aux éditions Cavalier bleu, « Figures de l’art contemporain. Des esprits conquérants ».
Nathalie Obadia s’est imposée dans le cercle très fermé des galeristes. Elle raconte qu’à 13 ans déjà, elle visitait des galeries engageant des conversations avec Mathias Fels, Jean-Marc Lambert, et d’autres figures du milieu. Daniel Varenne a même vendu à ses parents une œuvre de Tom Wesselmann. Passionnés par l’art, ses parents ont commencé une collection de pop art. Bien qu’elle vienne d’un milieu sans grande fortune, l’art y occupait une place centrale. Selon elle, la démarche de ses parents était atypique pour l’époque car les acheteurs d’art étaient principalement issus de grandes dynasties familiales. Elle est convaincue qu’il est aujourd’hui possible de constituer une collection sans nécessairement disposer de moyens considérables, mais en nourrissant une grande curiosité (mot qui reviendra souvent dans la discussion).
Elle entreprend des études de droit puis Sciences po, mention relations internationales (école qu’elle a d’ailleurs retrouvé pour donner un cours sur l’analyse du marché de l’art contemporain). Après ses études, Nathalie Obadia effectue plusieurs stages, notamment chez Maeght avant de se lancer dans l’aventure d’une galerie.
Nathalie Obadia dégage une impression de mouvement constant, de vigilance, malgré son succès. Mot qu’elle réfute d’ailleurs fermement : « Je ne vois pas mon parcours comme un succès. Il y a encore tellement à faire. Le métier a beaucoup évolué. Il n’y a pas de rente de situation. Chaque matin est un défi. Il faut trouver des projets pour les artistes que l’on défend, inventer des ventes, susciter des envies mais assi bien connaître son environnement à la fois national et international. »
Dans son ouvrage « Figures de l’art contemporain », Nathalie Obadia aborde un sujet essentiel : la nécessité de canaux de légitimation dans le monde de l’art, en particulier avec l’émergence de l’art conceptuel. Elle situe cette rupture à la fin des années 1960 : « On s’est progressivement éloigné de la notion de beauté kantienne. Un objet peut devenir une œuvre d’art, mais ce n’est pas automatique. Il faut des intermédiaires pour le légitimer comme par exemple les curateurs. » Lorsqu’on lui demande si l’art conceptuel ne va pas parfois trop loin, elle répond que, selon elle, il existe plusieurs voies possibles pour un artiste. Et c’est le temps qui tranchera : « Il ne restera que les bons ».
VERBATIM
« À 15-16 ans, j’ai fait des stages chez Adrien Maeght, en Italie, chez des marchands, et chez Daniel Varenne qui avait vendu à mes parents une œuvre de Tom Wesselmann.
-J’ai préféré faire des études plus classiques en droit, en sciences politiques et en relations internationales.
-Le rôle du galeriste, c’est un peu celui d’un agent d’art. Je choisis de défendre un artiste. J’influence les gens influents : curateurs, critiques d’art, collectionneurs prescripteurs. Mon rôle est de faire avancer la cause des artistes que je défends auprès de ces personnes. Une galerie de haut niveau a accès aux grandes foires, aux collectionneurs importants, aux musées.
-On peut aussi redécouvrir un artiste. Cela a été le cas pour Martin Barré, qui est décédé en 1993. Je le connaissais de son vivant et en 2006, son épouse, Michelle Barré, m’a demandée de le défendre et de le remettre sur la scène de l’art contemporain. Nous pouvons redonner une nouvelle lumière à un artiste.
-Je ne vois pas mon parcours comme un succès. Il y a encore beaucoup à faire. Le métier a beaucoup changé. Il n’y a pas de rente de situation. Chaque matin est un défi. Il faut trouver des projets pour les artistes que l’on défend, inventer des ventes, susciter des envies. Il faut bien connaître son environnement national et international. Parfois, on se dit : cette personne ne le sait pas encore, mais ce tableau est pour elle.
-La sociologie des collectionneurs en France a beaucoup évolué. Aujourd’hui, il y en a beaucoup. Il faut savoir les trouver. Avant, la majorité des collectionneurs étaient issus de grandes familles fortunées. Mes parents, qui n’étaient pas riches ni issus de réseaux, étaient des exceptions. Aujourd’hui, la plupart des collectionneurs, à Paris comme en province, sont des « personnes normales ».
-L’Europe est un marché très fort (Belgique, Allemagne, Italie, France…). Paris, après New York, reste le centre névralgique de l’art contemporain.
-J’ai pu me tromper, et c’est normal. Les meilleures galeries se trompent moins, mais je n’ai jamais montré un artiste que je n’appréciais pas. En règle générale, les artistes que je défends sont des personnalités très fortes. Au-delà du travail, ce qui compte, c’est l’envie d’avancer, de réussir, de s’épanouir, et de répondre à la complexité actuelle du monde de l’art.
-La nouvelle génération d’artistes français est beaucoup plus autonome, ils connaissent les codes. Cela ne remet pas en cause l’authenticité de leur travail ».
Questionnaire de Proust :
Occupation idéale
Observer
Le pays où j’aimerais vivre
La France
Un /des Créateurs (au sens large)
Robert Rauschenberg
Mes héros-héroïnes fiction/vie réelle
Les femmes de ma famille
depuis plusieurs générations
Une couleur
Tout en nuances
Ce que je déteste le plus
Les tics de langage « c’est en cours »
Ce que j’apprécie le plus chez les autres
Leur curiosité
L’état présent de mon esprit
Déterminé
La faute qui m’inspire le plus d’indulgence
Il vaut mieux pécher
par excès que par défaut
Ma devise
Insister c’est exister
Dîner idéal
Celui que j’ai eu le temps de cuisiner moi-même
Le monde de demain en quelques mots ?
Résistance