LE TRAIT Episode 47- Tristan Lohner Séduction massive
Tristan Lohner est l’un des grands noms du design (la lampe Balad de Fermob, c’est lui). Il est également DG du groupe de distribution de meuble RBC. Ce qui frappe en le rencontrant est l’impression d’une certaine humilité, un besoin de recherche permanent et un esprit en éveil. Il estime son parcours « chaotique ». Issu d’une famille d’artistes (son père est le peintre et dessinateur Pierre Lohner), il commence des études de commerce, mais ne se plaît pas dans cette voie.
Sa vie bascule quand il rejoint l’armée (il n’a pas réussi à se faire réformer…). Il reste deux ans sur un bateau dans l’océan Indien où il se lie d’amitié avec un collègue ébéniste et se met à l’aider. C’est le déclic. Il rentre de l’armée et décide qu’il veut faire ce métier. Il prend des cours à l’école Boulle où il obtient un brevet en métier d’art en ébénisterie. Il suit aussi les enseignements de l’école d’ameublement « A la bonne graine ». Il y fait une rencontre décisive, « un maître », dit-il, l’ébéniste Bernard Daudé (auteur notamment de l’ouvrage : « Ebenisterie : les premiers gestes»).
Tristan Lohner découvre un métier, « le privilège de manier » : « partir de rien et faire quelque chose de très simple ». Il apprend comment faisaient les anciens… Il intègre plus tard les Arts décos – l’école était intéressée par le savoir de l’ébénisterie – et y fait une autre rencontre importante : celle du designer Jean-Marie Massaud qui l’encouragera à devenir designer.
Dans cet épisode, Tristan Lohner raconte son parcours, partage sa réflexion sur le design. Il est d’abord habité par l’envie de toucher, de séduire le plus grand nombre.
VERBATIM
« Le succès est redouté, espéré… Lorsqu’un objet qui, au départ, est d’abord un fantasme, un dessin, une projection, quelque chose de l’ordre de l’intuition devient réalité, existe, rencontre son public, dépasse les frontières et se vend à plusieurs millions d’exemplaires, c’est un peu magique, cela relève presque de l’intime. C’est le principe du design qui repose sur la reproductibilité…
– Pour la lampe Balad de Fermob : c’est émouvant de voir que l’on pense à un objet à des moments extrêmement intimes et que cela a du succès : une sorte d’écho qui se perpétue…
– Mon parcours est hétéroclite, pas du tout tracé. J’ai fait des études commerciales. J’étais très malheureux. Je suis parti à l’armée dans la marine. J’ai connu un ébéniste et je me suis mis à l’aider. Quand je suis rentré, j’ai voulu être ébéniste et je suis allé à l’école Boulle.
– Le rapport au dessin: je me suis raccroché au design car le dessin de design est un dessin particulier entre l’ingénierie, l’aspect formel et l’intention. Le design pour moi, c’est une réponse. Cela s’est imposé à moi. Il y a des designers qui sont de bons dessinateurs. Il y a cette école du dessin dans le design (dont Jean-Marie Massaud) mais avec un père dessinateur avec un tel talent, cela a peut-être été écrasant.
– J’aime à penser que le designer n’est pas réellement un artiste : nous sommes des gens au service des autres. Le design ; c’est le rapprochement de deux paradoxes. Le monde de l’argent se rapproche du sensible, le monde de l’entreprise prend dans ses bras le monde de la création. Le design est la réunification de deux mondes qui ont toujours été dos à dos.
– La question du beau se pose pour un designer, mais celle de la culture aussi…
– Je veux toucher le plus grand nombre. Je ne pourrais pas proposer un canapé à 15000 euros».
Questionnaire de Proust :
Occupation idéale
Être avec ceux que j’aime
Le pays où j’aimerais vivre
Là où je vis actuellement, en France, sur la butte Montmartre, en 1950
Un /des Créateurs (au sens large)
Sans aucune hésitation, Jean Sébastien Bach.
Je ne crois pas en dieu, mais je crois en Bach.
Il incarne ce que l’être humain a de plus magnifique : la transcendance et une beauté absolue, mêlées à une immense sensibilité.
Sa musique m’accompagne tous les jours.
Et puis Rembrandt aussi.
Son œuvre est à couper le souffle, la profondeur de son regard dans les autoportraits porte toutes les questions de notre humanité.
Une couleur
Je n’ai pas de couleur préférée.
Ce que j’aime dans les couleurs, comme pour les êtres, c’est le principe même de leur infinité
Mes héros-héroïnes fiction/vie réelle
Toutes celles et tous ceux qui se sont battus et qui se battent encore, sur tous les fronts de toutes les guerres, et qui donnent leur vie pour des idéaux de liberté.
Ces inconnus, ceux qui se battent pour les enfants, ce sont eux les vrais héros.
Ce que je déteste le plus
Les fondements même de la méchanceté : être dur avec les faibles, et faible avec les forts.
Ce que j’apprécie le plus chez les autres
La vraie gentillesse et la vraie naïveté, deux qualités qui ne se cultivent pas mais qui sont innées.
Il est très difficile d’être un vrai naïf, c’est garder son regard d’enfant sur le monde et sur les êtres.
L’état présent de mon esprit
Un pessimisme plein d’espoir
La faute qui m’inspire le plus d’indulgence
Celle que l’on fait par amour.
Ma devise
Ne pas subir
Le monde de demain en quelques mots ?
La terre nous a préexisté et sera là bien après nous.
La question est de savoir ce que nous allons faire de cette planète et de nos sociétés.
Je crois en la capacité de l’être humain à se réinventer, je crois en l’art et aux artistes, je crois en l’imagination des enfants.
L’humanité c’est Hitler, Poutine et Trump, mais c’est aussi Michel Ange, Miles Davis, Victor Hugo et Simone Veil.
Partout la vie est remplie de courage et de beauté, notre avenir se construit aujourd’hui, tout de suite.